Cet article a pour but de vous présenter l’un des derniers grands maitres de Shaolin: Shi Su Xi 释素喜. Il a été le dernier moine à entrer dans le temple avant la Libération (jiě fàng 解放 – se référant à la victoire des communistes sur les nationalistes en 1949), il est un des liens avec les enseignements des maîtres de la dynastie Qing 清朝 de Shaolin.
Petite enfance
Shi Su Xi 释素喜 est né le 27 septembre 1924 du calendrier lunaire chinois sous le nom de Geng Jin Zhu 耿金柱 dans une famille paysanne très pauvre qui vivait dans un petit village en dehors de Dengfeng 登封 dans la province du Henan en Chine 河南省, non loin du monastère de Shaolin 少林寺.
Six mois après sa naissance, sa mère est décédée. Il a été élevé par son père, vendeur de livres qui entretenait de très bonnes relations avec les moines de Shaolin et recevait souvent de l’aide de ceux-ci en cas de besoin. Cependant, lorsque Geng Jin Zhu avait 11 ans, un hiver terrible tua son père (il a été retrouvé mort, gelé dans une hutte d’herbe). Par la suite, Geng Jin Zhu a rejoint ses cousins alors qu’ils étaient en train de mendier de la nourriture. Souvent intimidés et humiliés, ils n’avaient pas d’autre choix.
A cette époque, il y avait un maître au monastère de Shaolin qui s’appelait Shi Zhen Xu 释贞绪. Plusieurs villageois, qui connaissaient la situation de Geng Jin Zhu, ont raconté son histoire au maître. Après quoi, le maitre pris du papier et un pinceau et laissa la note suivante pour le jeune garçon:
家寒志凌云
顿悟疾复春
胸装十万生
成佛在少林
顿悟疾复春 – dùn wù jí fù chūn
Dans un moment d’illumination soudaine, votre maladie disparaitra.
Tu deviendras un Bouddha à Shaolin.
暴风雨袭十七年
恶魔鬼怪祸人间
碧殿毁于军阀火
众僧恨怒法无缘
Les tempêtes de pluie ont attaqué la 17ème année,
Les démons et les fantômes ont fait des ravages sur le monde,
Ce poème fait référence à l’incendie du monastère de Shaolin par le seigneur de guerre Shi You San 石友三 en 1928 (17ème année de la République de Chine) .
Le maître Zhen Xu 贞绪 voyant Geng Jin Zhu lire ce poème en profita pour le tester. Il lui demanda de créer un poème de quatre lignes en réponse à ce dernier. Geng Jin Zhu s’exclama immédiatement:
净土污染魔作怪
善恶报应迟早来
野火不毁真禅宗
明年群殿更光彩
A l’age de 11ans, le jeune Geng Jin Zhu avait déjà perdu ses deux parents et était un mendiant. Pourtant, à cause de la dévotion bouddhiste de ses parents et une relation étroite avec les moines de Shaolin qui ont aimablement aidé sa famille, il avait une foi précoce dans le bouddhisme. Naturellement, le monastère Shaolin fut sa destiné.
Il est entré dans le temple en 1936 à l’âge de douze ans. Maître Zhen Xu 贞绪 l’ordonna plus tard comme un jeune moine novice 小沙弥 (xiǎoshāmí ) dans le monastère et lui donna son nom de moine: Shì Sù Xǐ 释素喜 que nous pouvons traduire par « toujours heureux ». Il représenta ainsi la 30ème génération de Shaolin.
En 1942, à l’âge de 18 ans, il a été envoyé à la ville de Xian 西安 dans la province de Shanxi 陕西 pour recevoir les préceptes 具足戒 au monastère Da Xing Shan 大兴善寺. Après avoir été entièrement ordonné, il est retourné au monastère de Shaolin pour continuer son étude et sa pratique bouddhiste.
Les arts martiaux de Shaolin
À ce moment-là, il était de son devoir de couper du bois, d’aller chercher de l’eau et d’accomplir diverses tâches autour du monastère. Maître Zhen Xu 贞绪 regardait le jeune Su Xi travailler tous les jours. Il a remarqué la patience naturelle qu’il avait lors de l’accomplissement de chaque tâche, ainsi que sa bonne conduite, et le respect des autres. Là-dessus, il a décidé de commencer à lui enseigner les compétences martiales de Shaolin 少林武功. En fait, beaucoup de moines de Shaolin l’aimaient tellement qu’ils souhaitaient tous avoir la chance de lui transmettre leur savoir.
Le maitre Su Xi 素喜 devint une encyclopédie vivante des arts martiaux de Shaolin des maîtres de la dynastie Qing 清朝. Ses connaissances comprenaient aussi bien les techniques à mains que celles avec armes, mais également des arts plus confidentiel de Shaolin, tels que les points vitaux 点穴. Il fut aussi le dernier moine des générations plus âgées à maîtriser le maniement des chapelets bouddhiste (luó hàn fó zhū gōng 罗汉佛珠功). Sa grande détermination dans l’étude et la pratique au cours des décennies lui a valu le surnom de « Roi de la boxe de Shaolin » 少林拳王.
Entre 1960 et 1962, le maitre Su Xi 素喜 était l’étudiant bouddhiste numéro un en Chine et a été choisi pour être envoyé à Pékin pour l’éducation formelle au Collège bouddhiste de Pékin 北京佛学院. Après l’obtention du diplôme, il est retourné au monastère de Shaolin où il est devenu le maître référent des arts martiaux de Shaolin 武功教头. Pendant tout ce temps, il avait soif de connaissances pour développer davantage les arts martiaux de Shaolin. Il invita de nombreux maîtres chinois 拳师 de différents styles pour partager leurs compétences afin de développer et diffuser la culture Shaolin.
Aucun obstacle n’a jamais entravé sa pratique. En ce qui concerne la formation traditionnelle, il disait:
习武德为先
不怕先挨打
笑脸迎人欺
良师介武德
苦恒出高手
Traduction :
习武德为先 – xí wǔ dé wéi xiān
Pratiques d’abord la vertu
不怕先挨打 – bù pà xiān ái dǎ
N’es pas peur d’être attaqué
笑脸迎人欺 – xiào liǎn yíng rén qī
Accueilles ton adversaire avec le sourire
良师介武德 – liáng shi jiè wǔ dé
Un bon maître introduit la vertu
苦恒出高手 – kǔ héng chū gāo shǒu
L’amertume (la difficulté) et la persévérance sort toujours des hautes mains (grands maitres)
Préserver la culture de Shaolin
Entre les années 1959 et 1961, Dengfeng 登封 a connu une sécheresse de trois ans. Comme il n’y avait plus rien à manger, beaucoup de moines retournèrent à la vie laïque. Seulement le maitre Su Xi 素喜 et 16 autres moines sont restés pour surveiller le monastère.
Pendant la période de la Révolution culturelle (Wén Huà Dà Gé Mìng 文化大革命 – 1966-1976), de nombreux gardes rouges (Hóng Wèi Bīng 红卫兵) sont venus détruire les statues bouddhistes du monastère et brûler les sutras. Le maitre Su Xi 素喜 était considéré comme un grand propriétaire foncier (Dà Dì Zhǔ 大地主), et fut ainsi retiré presque chaque jour pour subir la critique publique et l’humiliation (Pī Dòu 批斗) de la part des gardes rouges pour ses « crimes ».
Pendant ce temps, il y avait beaucoup de jeunes enfants qui venaient dans le monastère et jouaient autour, endommageant les peintures murales et les statues avec des pierres et des bâtons. Le maitre Su Xi 素喜 a couvert les murs et les statues avec son corps pour les protéger.
Par la suite, certaines personnes lui ont demandé pourquoi il n’utilisait pas sa capacité martiale pour résister ou menacer les gardes rouges et les enfants. Il répondit:
« 1 – ce sont des enfants et ils ne sont pas raisonnables, 2 – notre art martial est utilisé pour fortifier le corps et pour rester en bonne santé, pour développer la vertu et discipliner le mal .. 3 – un bouddhiste doit traiter les gens avec tolérance. »
Afin de protéger les reliques culturelles contre de futurs dommages , le maitre Su Xi 素喜 avec l’abbé du monastère Shaolin, Shi De Chan 释德禅, ont distribué les sutras et les livres du monastère de Shaolin à chacun des moines afin qu’ils les mémorisent complètement avec la plus grande précision possible. Une fois tous mémorisés correctement, les moines les ont enterré.
Toutes ces injustices que le maitre Su Xi 素喜 a traversé lui ont enseigné quelque chose de très doux, une phrase qu’il répétait très souvent:
忍辱菠萝蜜– rěn rǔ bōluómì
Traduction :
Supporter l’humiliation, (c’est comme) le jacquier
Si vous faites preuve d’indulgence, vous découvrirez que c’est comme manger le fruit le plus sucré du monde: le jacquier.
Servant d’Abbé
Au cours de sa vie au monastère de Shaolin, le maitre Su Xi 素喜 fut obligé de prendre les rennes du monastère à plusieurs reprises:
– De 1959 à 1961, au moment de la grande sécheresse
– En 1966, au moment de la révolution culturelle (Wén Huà Dà Gé Mìng 文化大革命 )
– En 1974, lorsque l’Abbé officiel Shì Xíng Zhèng 释行正 était à Pekin pour lancer le processus de rénovation du monastère de Shaolin
– Enfin de 1990 à 1999, suite aux décès des Abbés Shì Xíng Zhèng 释行正 et Shi De Chan 释德禅, il prit la tête du monastère en attendant la nomination d’un nouvel Abbé.
Être l’abbé supérieur dans de telles périodes d’agitation étaient difficiles, surtout à mesure qu’il vieillissait et devenait de plus en plus faible. Il ne pouvait pas supporter de telles responsabilités. En tant que chef du monastère, il a dû subir de nombreuses humiliations publiques pendant la Révolution culturelle. Cependant, il ne s’est jamais plaint. Il se tenait toujours droit et ne faisait que ce qu’il savait être son devoir.
La maladie
L’histoire du maitre Su Xi 素喜 est d’autant plus inspirante que, à travers tout le chaos qu’il a connu, il avait aussi à gérer une maladie physique. À l’âge de 30 ans, il a eu un accident vasculaire cérébral. Il a été diagnostiqué comme la maladie de Parkinson. En 1983, à l’âge de 60 ans, il a commencé à tomber malade, perdant du mouvement et de la coordination dans les jambes et les pieds, mais il a persisté dans sa pratique de l’art martial, et s’est même réuni avec les autres maitres (dont maitre Shi De Chan 释德禅) pour former le « Groupe de recherche et de mise en ordre des Arts Martiaux de Shaolin » (Shàolín Wǔshù Wājué Zhěnglǐ Xiǎozǔ 少林武术挖掘整理小组). En tant que chef du groupe, il a déterré et rassemblé des compétences des arts martiaux de Shaolin qui étaient perdues. Il les a ensuite compilés dans des différents livres, comme par exemple le fameux livre « Transmissions secrètes de la boxe de Shaolin » (Shàolín Quánshù Mìchuán 少林拳术秘传).
En 1987, l’abbé Shi Xing Zheng 释行正 est décédé. Six ans plus tard, en 1993, l’abbé « temporaire » Shi De Chan 释德禅 est décédé. A cette époque, le monastère Shaolin avait établi une Commission de Régulation (Chin .: Guǎnlǐ Wěiyuán Huì 管理 委员会) dont le maitre Su Xi devait mener. Cependant, dans les années 90, son état de santé a commencé à empirer et il a dû démissionner.
Sa maladie de Parkinson avançait. Il a perdu le contrôle de son bras droit et a eu des problèmes de langage. Cependant, comme si aucun facteur externe ne pouvait affecter son esprit, il continua à vivre dans le «simple bonheur», comme son nom de moine, accueillant cette maladie agressive avec un visage souriant et traitant le monde avec tolérance, gentillesse et compassion.
Héritage
Au fil des années maitre Su Xi 素喜 a accepté énormément de personnes en tant que disciples laïques de la tradition de Shaolin. Son disciple le plus proche est Shi De Yang 释德扬.
Maitre Su Xi 素喜 souhaitait qu’il soit le nouvel abbé du monastère de Shaolin. Le gouvernement chinois en décida autrement et nomma en 1999 le très controversé Shi Yong Xin 释永信 au grand désarroi du maitre Su Xi 素喜.
Dans les premières années du 21ème siècle, maitre Su Xi 素喜 avec son fidèle disciple Shi De Yang 释德扬 et une vingtaine de moines guerriers (wǔsēng 武僧) sont partis dans la province du Fujian (Fújiànshěng 福建省) pour rétablir le monastère Shaolin du Sud à Putian (Pútián Nánshàolínsì 莆田 南少林寺). Ce monastère est devenu une deuxième maison pour le maitre Su Xi 素喜.
En 2002, le monastère de Shaolin lui a construit une pagode dans la forêt de pagodes de Shaolin 塔林. C’est un immense honneur pour un moine de se faire construire une pagode durant sa vie. C’était aussi la première fois que cela avait été fait dans les 200 dernières années. La pagode représente les nombreuses époques qu’il a vécues. Nous pouvons y voir des images de train, d’avion, de bateau, de voiture, de caméscope et même d’ordinateur.
Il a consacré plus de 70 ans à la protection et à la propagation de la culture traditionnelle de Shaolin, période pendant laquelle il a rétabli le monastère de Shaolin avec ses traditions culturelles.
Le 9 février 2006 du calendrier lunaire chinois (le 8 mars 2006), maitre Su Xi 素喜 est décédé à l’age de 82 ans dont 70 ans au service de Shaolin. Les mots ne peuvent exprimer l’ampleur de ses contributions pour la culture Shaolin.
Avant son décès, sentant la mort arriver, maitre Shi Su Xi demanda à l’actuel abbé de Shaolin de venir à son chevet. Shi Yong Xin 释永信 s’est immédiatement exécuté et est venu rendre visite à Shi Su Xi. Tandis qu’il tenait la main de Yong Xin 永信, il répéta la phrase suivante jusqu’à son extinction:
( Shàolín shì Chán bù shì Quán 少林是禅不是权)